My Story

3ème jour de la Lune du Cygne Vertueux en l’an 1032 | Uxy, région de Nirally, entrée du village de Nethi


Un petit garçonnet un peu perdu aux yeux débordant de larmes s’échinait à tirer un panier tout aussi grand que lui et bien plus lourd. Ses cheveux d’un bleu turquoise lui arrivaient déjà aux épaules et se collaient à ses petites joues poupines à cause de ses larmes.

« Je… Je sais pas…Y’arrive pas… Hn… M-maman… Papa…»

Il ne savait pas où il se trouvait, il ne savait pas non plus quoi faire, tout ce qu’il savait, c’est que dans son rêve, on lui avait dit de suivre ce chemin …
À bout de force, il s’effondra dans l’herbe fraiche, non loin d’un grand moulin. Sa chute amortie par son popotin, il chouina une nouvelle fois, puis se frotta ses yeux bleus de ses petits poings. Puis il se pencha au-dessus du joli panier en osier pour apercevoir un nouveau-né, vieux de 8 Lunes à peine. Celui-ci ne semblait d’ailleurs pas affecté le moins du monde par ce qu’il traversait. Il fixait sereinement le ciel bleu de ses grandes prunelles toutes aussi bleues. Parfois il gazouillait et tentait de jouer avec des insectes s’étant invité dans son couffin de fortune.
Cette vision requinqua le petit garçon qui se releva après avoir embrassé le front de la petite fille.

« On va y arriver Eanhos… Faut trouver… un môsieur… Hnnnn…»

Et après avoir correctement couvert le bébé de sa fine couverture, il se remit en quête de tirer de toutes ses forces le panier en direction des habitations. Il ne faisait qu’avancer de quelques centimètres à chaque fois, et c’était épuisant ! Mais… Il ne pouvait pas abandonner sa petite sœur pour autant ! C’était sa petite sœur. Sa petite sœur… Et on lui avait fait promettre de la protéger. Parce qu’il était un grand garçon de 3 ans et presque 4 !

« Ho… Hisse… Ho… Hiiisseeee ! »
[…]

1er jour de la Lune de la Chauve-Souris Céleste en l’an 1047 | Uxy, région de Nirally, Tharas, Temple de Kila


« Prêtre Sôh-Mon…?... Prêtre Sôh-Mon, vous devez vous réveiller !...
-Hn… Que… Que se passe-t-il ?...
- ... Le Temple célèbre aujourd’hui la naissance de Kila ! Nous devons finir les derniers préparatifs…
-…Ah oui...Très bien. J’arrive… J'arrive tout de suite… … ne vous inquiétez pas.»

Le jeune homme vêtu d’un kimono ample noir, se courba légèrement, avant de refaire coulisser la porte et laisser ainsi l’intimité nécessaire au jeune prêtre principal. Il s’agissait du fils adoptif de Kilian, qui était arrivé il y a maintenant 8 ans. Un jeune homme un peu austère, mais très assidus. Il se refusait tout ce qui pourrait le détourner de Kila. Entre autres, l’alcool, et d’autres amusements divers et variés…  Sôh-Mon, qui se trouvait être le jeune homme en question, s’étira paresseusement, encore endormi, puis se releva souplement, laissant de longues mèches bleues s’écouler sur ses épaules pâles, comme l’aurait fait une cascade.

Remettant en place le bijou représentant un quart de lune sur son front face à un miroir, il y observa ensuite son œil gauche, un peu plus foncé que le droit. Cet œil lui posait problème au niveau de la vue depuis quelques années… Et si son père n’avait pas été là, il aurait sans doute complètement perdu la vue. Le Prêtre principal s’empressa d’aller se purifier dans la source derrière le temple dans lequel il logeait. Tout en se nettoyant, il se remémora son arrivée en ces lieux. Il devait avoir 9 ans… Il était très triste. Et peiné…

« Ah… C’était il y a… bien longtemps… Hn… »

Flash-back :
« Viens Sôh-Mon ! Le village est par ici… Je sais que tu es triste, mais tu as accepté de venir... J’aurai aimé l’emmener avec nous, mais la Déesse Kila en a décidé autrement, et tu le sais bien, je te l’ai déjà expliqué…

-Je sais… Je le sais bien Père. Je ne me laisserai pas emporter par mes sentiments, je vous l’ai promis à tous les deux.

-…Bien. Mais n’oublie pas. Tu ne dois pas l’effacer de ta mémoire. Il est important de se souvenir de nos souffrances pour pouvoir compatir à celles des autres. »

C’est après ces paroles que le Prêtre Kilian, un tendre sourire sur son visage, tendit sa main un peu calleuse à celle du petit garçon pour qu’il la lui prenne et le suive enfin. Ils étaient bientôt arrivés, après un long voyage de presque 12 lunes. Le voyage avait été long car ils avaient dû passer par certains Temples de Kila. Et… Il y avait eu des petits imprévus également sur la route.
Malgré son regard encore mélancolique, Sôh-Mon sourit à l’homme qui l’avait recueilli, et se décida à suivre le prêtre. Son œil gauche avait perdu presque la moitié de ses capacités… Et tout c’était accéléré lors de leur périple entre Nirally la belle capitale, et Tharas. Le Prêtre Kilian avait alors trouvé une solution en lui offrant un tome d’eau, avec une sorte de sceau sur les deux couvertures. Mais d’après lui il ne s’agissait que d’un moyen temporaire de calmer ce pouvoir étrange mais certainement pas mauvais.

L’arrivée à Tharas de Sôh-Mon fut marquée par une forte pluie qui s’abattit sur tout le village. Elle était douce et encourageante. C’était comme si, quelque part, sa soeur lui signifiait qu’elle allait bien malgré tout. Ce n’était qu’une impression d’enfant, sans doute un stratagème de son cerveau pour s’auto-rassurer. Mais même s’il doutait de cette sensation, il y crû de tout son coeur.

Fin Flash-back

« Bien…»

Une fois séché, le jeune prêtre enfila sa robe blanche ample (qu’il noua par l’avant avec une attache en bambou en forme de roue) et ses chaussons. Fin prêt, il rejoignit ses assistants pour les aider dans leur tâche. Les tableaux à mettre en place, les autels à finir de décorer, l’encens à brûler... Les villageois étaient toujours présents à l’heure pour la cérémonie, et il était impensable d’être en retard pour célébrer la naissance de Kila ! Il fallait que tout soit prêt en temps et en heure !

Au fond de son cœur, après le début de la Cérémonie lors de son habituel chant traditionnel, l’adolescent pensa secrètement qu’il aimerait un jour pouvoir prier et célébrer Soma autant que Kila. Il trouvait injuste d’en renier un sous prétexte qu’il avait fait une erreur. Le pardon devait être accordé à tous.  Mais ce que Sôh-Mon ne savait pas, c’est qu’il s’agissait de ses dernières Lunes au sein du Temple, en compagnie de ses amis et de sa famille.

15ème jour de la Lune du Faucon Imprévisible en l’an 1038 |Uxy, région de Nirally, orphelinat du village de Nethi

Sôh-Mon, âgé 9 ans se trouvait à quelques mètres derrière trois petites filles cachées dans un buisson, prêt à gagner la partie de cache-cache qui durait depuis plusieurs minutes. Doucement, il tendit sa main, et matérialisa l’eau venant de la terre et des végétaux environnant, en forme de ficelle le plus silencieusement possible, puis il la fit flotter jusqu’à la nuque de la plus petite des trois et...

« Pouic-
-Kyaah !! »

Le cri de cette petite fille provoqua celui de ses amies, et le rire amusé de son grand frère qui était satisfait de son petit tour. Les quatre jeunes gens passèrent ainsi leur après-midi à jouer entre eux, pas très loin de plusieurs autres groupes d’enfants, tous éparpillés dans le jardin et la cour extérieure de l’orphelinat. Le temps s’écoula bien vite, pendant que leur gardien s’entretenait avec un ami à lui devant le grand portail. Les enfants savaient que le plus vieux d’entre eux encore présents, Sôh-Mon, faisait d’étranges choses avec l’eau. Rien d’explicable, mais rien de dangereux non plus. Il la manipulait ou la matérialisait… Mais pas beaucoup, parce qu’il disait que sinon il avait mal à la tête. Cependant, malgré le secret tenu par les enfants, le gardien avait fini par comprendre qu’il s’agissait d’un enfant spécial. Sans doute un enfant né sous la bénédiction de Kila. Et son vieil ami, Kilian, le lui confirma après avoir observé discrètement l’enfant à l’œuvre, lorsqu’il s’amusait avec sa sœur et ses amies.

Kilian était un prêtre en plein pèlerinage, et il recherchait activement un enfant qu’il pourrait adopter, et élever afin qu’il devienne un fervent serviteur de Kila, comme sa mère l’avait été, sa grand-mère et même la grand-mère de sa grand-mère. N’ayant pas d’enfant, il avait longtemps cherché à travers tout Nirally, d’orphelinat en orphelinat sans jamais trouver… Jusqu’à maintenant. Dès l’instant où il aperçut Sôh-Mon, il vit douceur, force et patience, des qualités qui ne seraient pas de trop pour son Temple. Mais… Ce qui finit de le convaincre, fut... un rêve étrange. La veille de sa décision, alors qu’il hésitait encore entre adopter juste Sôh-Mon ou la fratrie entière, un songe l’éclaira. À son réveil, il ne s’en rappela absolument pas. Seul résidait dans son cœur le sentiment de savoir ce qui devait être fait. Ainsi, après avoir longtemps discuté avec Sôh-Mon et Eanhos, puis essuyé plusieurs larmes de la petite fille qui ne comprenait pas réellement pourquoi son frère devait la quitter, le petit groupe se dirigea vers le Sanctuaire de Kila. Contrairement à ce qu’il avait prévu au départ, Kilian alla prier la déesse avec le garçon, après que la petite Eanhos fut prise en charge par les prêtresses.

Ce fut sans doute les prières les plus difficiles de toute l’existence de son grand frère. Il devait mettre de côté toutes ses souffrances pour protéger sa petite sœur. Il avait compris qu’il était vain d’aller à l’encontre des désirs de Kila. Il valait même mieux pour la sécurité de la petite fille que la volonté de la Déesse soit respectée.
Mais avant que le Prêtre Kilian et son tout nouveau fils ne prennent la route, le plus vieux prit la peine de montrer à l’ancien orphelin qu’il lui offrait une nouvelle existence pour prendre la suite de l’ancienne. Il lui offrit ainsi un nom qui correspondait à ce qu’il dégageait, à ce qu’il aimait. Un nom hors du commun, sans doute très différent de celui qu’il avait dû porter à sa naissance…

Dod’Ousse. Sôh-Mon Dod’Ousse. Un nom peu commun pour un enfant encore plus extraordinaire. Ce n’est que plus tard que Sôh-Mon en comprit le sens. D’abord fortement dépité sur le sens de l’humour de son père, il en comprit ensuite son intention. Il voulait lui offrir une vie où il pourrait vivre et faire ce qu’il désirait.

27ème jour de la Lune de l’Aigle Chasseur en l’an1048 | Uxy, région de Nirally, Tharas, Temple de Kila


Plus les années passaient, et plus Sôh-Mon s’interrogeait sur son rôle de prêtre au sein du village de Tharas. Il croyait toujours bien évidemment en Kila, il s’agissait de leur mère à tous ! Une mère aimante et miséricordieuse… Mais qu’en était-il de Soma ?... Eh bien d’après lui, en ce Dieu demeurait tout simplement leur père ! Il ne pouvait pas juste le nier, sous prétexte de vieilles querelles… Il faisait parti de l'équilibre. Le jeune prêtre avait envie de pouvoir célébrer tout autant Kila que Soma, mais… Est-ce que les villageois de Tharas étaient prêt à remettre en question leur croyances aveugles ?... Surtout que, Sôh-Mon en était conscient, il n’avait aucun document historique sur lequel ses croyances pourraient reposer. Toutes ses connaissances sur l’histoire d’Uxy et de Nael lui venait directement d’auteurs Uxyiens et de l’enseignement de son père. Il ne pouvait mettre en avant comme preuves que ses longues heures de méditations et réflexions...
Et il avait le temps après tout… Car mis à part lorsqu’il devait s’occuper du temple, ou de ses prêtres assistants, il devait méditer et prier Kila.

En cette nuit du 27ème jour de la Lune de l’Aigle Chasseur, la veille de son 19ème anniversaire, Sôh-Mon se permit, après sa méditation dans la source derrière le temple et l’arrosage de ses jardins, de rendre visite à la jeune fille qui vivait dans la petite maison juste à côté. Elle avait un fils et travaillait dur pour pouvoir le nourrir. Ainsi, tous les soirs il allait lui rendre visite pour leur offrir quelques fruits et légumes. Il en avait la possibilité car son temple (sans rouler sur l’or) ne manquait de rien, et possédait même des surplus de nourriture. Et en tant que prêtre et porteur de la voix de Kila, il était pour lui impensable de ne pas partager avec ceux qui en avaient besoin. Lui pouvait même se passer de manger pendant quelques jours.

Les grosses chaleurs étaient certes passées, mais les températures restaient cependant très agréables. Il n’eut donc pas besoin de se couvrir plus qu’il ne l’était déjà et se mit en route. Une lanterne dans une main pour s’éclairer, et dans l’autre un panier garni, il se hâta vers la petite bicoque, et frappa à la porte en bois. La jeune fille ne mit que quelques instants avant d’ouvrir, visiblement rassurée de voir que, comme chaque soir, le jeune Prêtre de Kila prenait de son temps pour venir l’aider. Après quelques paroles un peu maladroites de la part de Sôh-Mon et des sourires en réponse de la jeune voisine, il la quitta pour se réfugier au sein du Temple, face à la statue de Kila. Il avait cette timidité envers les femmes… Pas qu’elles le détournaient de son rôle de prêtre ! Mais… Il avait plus l’habitude de parler à des hommes. La dernière fille avec qui il avait vécu était Eanhos… … Et peut-être que sa timidité et maladresse étaient liées à ce souvenir encore source de regrets.

« Peut-être… »

En relevant son visage, il regarda la lune dans le ciel et les ombres qu’elle créait en éclairant ainsi la grande pièce. Il n’avait pas sommeil en ce moment…
Désireux de s’évader un peu, il se releva souplement, pria une dernière fois Kila en joignant ses mains, son regard plongé dans celui de la statue, puis il se dirigea silencieusement vers la source à travers les couloirs. Et comme d’ordinaire, Sôh-Mon se perdit pendant plus de 5 minutes. Il n’avait aucun sens de l’orientation, et ce, même dans un lieu qu’il côtoyait chaque jour depuis ses 10 ans. Caché derrière la végétation et les murs de l’enceinte du temple, Sôh-Mon pu se dévêtir, natter ses longs cheveux -qui lui arrivaient au milieu des genoux- et s’immerger dans la source. Après avoir plongé silencieusement, il se retourna dans l’eau en apnée, afin d’observer l’éclat de la lune sans sortir de son élément favori.
La vue de son œil gauche, lorsqu’il était fatigué, se troublait un peu plus, sans pour autant se dégrader. Mais plus ça allait, et plus il se demandait pourquoi son pouvoir avait autant dévoré son œil. Était-ce réellement une bénédiction ?... Ou une punition pour avoir abandonné sa… sa sœur… … !!

« !! Heu heu !... Heu ! »

Le cœur battant, et un rideau de cheveux turquoise humides collés sur le visage, Sôh-Mon était appuyé contre une roche, toussotant après avoir respiré de l’eau. Son cœur s’était laissé submerger l’espace d’un instant par le regret… Mais en tant que prêtre, il ne devait pas se laisser souiller par des sentiments négatifs…

« Je ne dois pas… éprouver ce genre de sentiments… Ou je risquerai de suivre le chemin de Zeshia… »

1er jour de la Lune de la Chauve-Souris Céleste en l’an 1049 |Uxy, région de Nirally, Tharas, Temple de Kila

Comment en était-il arrivé là ?... Comment avait-il pu provoquer un tel déferlement de haine ?... Lui qui pensait tout savoir, et pouvoir tout protéger, il se rendait compte qu’il ne pouvait même pas se protéger lui-même. Ça en devenait ridicule. Et cette situation…
Des larmes mêlées à du sang et de la salive s’écoulaient et s’écrasaient sur le sol sale et poussiéreux de la cave dans laquelle il se trouvait. Ses poignets, liés entre eux et accrochés au plafond au moyen d’une corde épaisse et rugueuse, le faisait tellement souffrir qu’il ne les sentait même plus, alors il devait se soutenir sur la pointe de ses pieds pour ne pas plus tirer sur ses articulations. Son ventre, et son dos non plus, il ne les sentait plus trop, tous deux jonchés de bleus. Mais peut-être plus que la souffrance corporelle, il déplorait la cruauté de ces hommes… Et de ces femmes. Il les pensa au nombre de quatre, mais maintenant qu’il s’entêtait à fermer les yeux et essayer de ne plus rien entendre, il ne pouvait plus en être aussi sûr.

Quelques jours plus-tôt, au matin :

Les préparations pour la Célébration de la naissance de Kila, au 1er jour de la Lune de la Chauve-Souris Céleste battaient leur plein. Les assistants courraient un peu partout, des villageois venus aider se trouvaient éparpillés ça et là à travers le temple… Et au milieu de tout ce remue-ménage, Sôh-Mon revenait de chez le cordonnier.  Il lui avait emprunté du matériel, et n’en ayant plus besoin, il s’était déplacé pour le lui rendre. Pressé de rentrer pour aider aux préparatifs, le petit prêtre emprunta un raccourci qu’il avait fini par découvrir à force de se perdre dans les rues et ruelles de Tharas. Il se surpris d’ailleurs à ne pas se perdre en chemin… Mais alors qu’il s’apprêtait à sortir de la ruelle faisant office de raccourci, il se figea en croyant apercevoir non loin d’une auberge… Un corps ? Paniqué, il se précipita à ses côtés et s’agenouilla pour immédiatement tâter son pouls.

« ... Il est en vie… »

Mais pourquoi se trouvait-il dans un état pareil ?... Avec la fête qui se préparait, et les étrangers au village qui se pressaient dans les auberges pour pouvoir profiter de la grande Célébration, n’importe qui pouvait en être le responsable.

« Ah… Laissez... Laissez-moi… Pitié...»

Revenant à la réalité, Sôh-Mon vérifia sommairement que le jeune homme n’avait pas de lésions mortelles, tout en le rassurant calmement.

« Ne vous inquiétez pas, je ne vous ferai aucun mal. Je suis un Prêtre de Kila. Je vais vous soigner au temple, vous ne craignez plus rien… »

À son arrivée à Tharas, son père, le Prêtre Kilian qui était maintenant devenu un prêtre itinérant, lui avait enseigné la médecine et le Tai-Chi, ainsi que l’utilisation de plantes et d’outils. Il ne pouvait pas se prétendre médecin, mais il était déjà capable de soigner les maux qu’il avait étudié dans les livres fourni par son père.

Il allait réellement pouvoir mettre ses connaissances au service d’une pauvre âme…
Décidé, il se releva et passa le bras le moins blessé de l’inconnu autour de son cou pour réussir non sans mal à l’emmener jusqu’au temple sans aggraver ses blessures. Plusieurs personnes l’aperçurent sur le chemin, des villageois comme des visiteurs… Certains lui proposèrent de laisser sa charge sur le bas-côté de la route, prétextant qu’il avait sans doute dû chercher la bagarre comme beaucoup de visiteurs éméchés , les soirs précédents la Célébration de la naissance de Kila. Mais Sôh-Mon n’en écouta aucun. Il avait bien vu les oreilles du jeune homme, et il s’avérait être un Kitsune. Le froid était saisissant dehors, mais il se doutait que les températures n’avaient rien à voir avec celles de Snowllia. Seulement… Il ne pourrait jamais se pardonner de laisser une personne dans le blessée, possiblement affamée et déshydratée.

Arrivés au temple, certains assistants abandonnèrent leur tâche pour aider leur jeune prêtre à installer l’invité dans une pièce vide, puis à lui prodiguer les soins les plus importants. Mixtures d’anti douleur, de cicatrisant, de désinfectant pour certaines plaies… Sôh-Mon passa une journée entière à le soigner et à le rassurer sur son état, ainsi que toute une nuit à veiller sur la jeune âme. Pendant ce temps-là, les assistants réussirent à s’organiser sans lui, sachant que le rôle du Prêtre Sôh-Mon était en premier de protéger les enfants de Kila.

La veille au soir du 1er jour de la Lune de la Chauve-Souris Céleste, le jeune homme fut contraint de sortir assez tardivement pour se rendre chez l’herboriste du village. Il lui manquait un peu de poudre de plantes pour finir son onguent cicatrisant, et il ne fallait surtout pas que la pâte sèche sans qu’il n’ait pu l’appliquer sur kes blessures du Kitsune ! Après s’être excusé platement plusieurs fois auprès de l’homme âgé pour l’avoir ainsi dérangé aussi tard, il rebroussa chemin, les précieuses poudres dans des petits sacs de toile solidement attachés à la ceinture en tissus de son kimono. Toutefois, alors qu’il venait de dépasser l’auberge derrière laquelle il avait trouvé son patient, un duo l’interpella.

« Eh !... Ouais toi…
-Laisse-moi parler. Tu es le prêtre principal du temple c’est ça ?
-…Oui… ? Que puis-je faire pour vous aider madame ? »

Ces personnes devaient faire parti de ces étrangers venu spécialement pour la célébration et la fête qui s’en suivrait. Sôh-Mon n’avait rien contre eux spécialement, mais ces deux-là… Cette femme Tagüel, et cet homme aux airs très agressifs, semblaient chercher les problèmes… Ou à les provoquer… ?

« Il paraît que tu as recueilli un Kitsune qui traînait par ici ?... Il nous a volé quelque chose et nous n’avons pas encore pu le récupérer.  Aussi… Nous aimerions que tu nous le remette sans plus tarder pour que nous puissions… … L’interroger.

-… Je refuse. Je pourrai tout à fait lui poser les questions à votre place pour qu’il vous rende votre bien, lorsqu'il sera rétablit. Je l'ai trouvé dans un état grave, dans les rues du village ! Je suppose que vous aviez dû déjà discuter avec lui... Nous n’acceptons ni la violence, ni la discrimination ici, alors si vous n’êtes pas en accord avec nos règles, je vous prierai de quitter le village. »

La Tagüel ne se retint pas d’échapper un grand éclat de rire. Elle rit si fort qu’elle dû se tenir le ventre. Mais… Plus elle riait, et plus ses griffes tiraient les poils de son bassin, et son sourire se crispait. Au bout de longues minutes où Sôh-Mon hésita à tourner ses talons pour retourner à ses occupations autrement plus importantes, la jeune Tagüel claqua des doigts, libérant le Laguz mâle de ses chaînes invisibles. Il sauta au cou du jeune prêtre qui se fit plaquer contre le mur de l’auberge dans un bruit sourd. Un bras puissamment appuyé sur sa gorge le fit fortement tousser.

« Ne le tue pas. »

Lentement, elle s’approcha de lui, bien assez prêt pour que Sôh-Mon puisse sentir son souffle contre son visage.

« Tu as jusqu’à demain à l’aube pour nous l’amener à l’écurie se trouvant à la sortie ouest du village. Si tu ne te ramène pas avec la femelle, tu devras nous dédommager demain soir, c’est compris ? »

Et sans même lui laisser le temps de penser à répondre, elle fit volte-face et s’éloigna en claquant une seconde fois des doigts. Son partenaire Laguz relâcha immédiatement le prêtre, lui grogna dessus, puis suivit docilement sa maîtresse.
Sôh-Mon ne réalisa l’importance des faits qu’après de longues minutes. C’était la première fois que l’on faisait preuve d’autant de violence sur sa personne… Aussi loin qu’il s’en souvenait. Mais ce n’était pas important ! Encore un peu secoué, il se pressa jusqu’au temple, trottinant aussi vite qu’il le pouvait avec son kimono et ses sacs de toile plein les mains. Enfin arrivé, il pria à peine Kila -chose que chacun devait faire à chaque fois qu’il pénétrait dans le temple- et se rendit bien vite jusqu’à la chambre de… De… LA Kitsune ! Rouge pivoine, outré, essoufflé et tremblotant, il se laissa tomber sur ses genoux, au chevet de la jeune femme.

« Pourquoi… Pourquoi vous ne m’aviez pas dit que vous étiez une… ?! »

D’ordinaire Sôh-Mon ne perdait jamais son calme, et il montrait encore moins ses sentiments les plus purs, tel que la gêne ou l’agacement, mais là… Il l’avait dénudée partiellement sans savoir… C’était… Mais il aurait pris des précautions en sachant cela… Aaah… il aurait dû le voir… Quoique… elle n’avait pas une once de poitrine, donc… Argh… Et il se prétendait faire de la médecine…

Connaissant déjà l’état d’esprit du prêtre, la Kitsune pouffa doucement, pas le moins du monde troublée.

« Je ne suis pas très pudique vous savez… Et même si vous m’avez soigné, à aucun moment vous ne m’avez demandé mon sexe. Je vous remercie de tout ce que vous avez fait pour moi… Maintenant je vais beaucoup mieux. »

L’embarras passé, Sôh-Mon reprit tout son sérieux en se souvenant des menaces qu’il avait reçu un peu plus tôt. Il expliqua tout sans aucun filtre à la jeune femelle, et la prévint de la dangerosité des brigands. Chose inutile, étant donné que c’était par leur poings qu’elle avait été battue aussi durement.

« Je ne leur ai rien dérobé… J’ai juste récupéré ma liberté !… Et… celle de mon bébé. Vous savez, je viens de très loin… »

Comprenant que ce que les deux comparses voulaient récupérer étaient des vies au fil du récit de la femelle… Sôh-Mon prit sa décision. Il allait finir de soigner la jeune future mère, et il irait lui-même la mener en sécurité avant l'heure limite chez le Chef du village. Il s’agissait d’une femme droite et juste, et il avait une totale confiance en son jugement. Il était absolument hors-de-question de livrer deux pauvres âmes à des personnes aussi dangereuses !

Ainsi, un peu avant l’aube Sôh-Mon qui n’avait quasiment pas fermé l’œil de la nuit, se retrouva dans la source du temple, à méditer sereinement sans que rien ne vienne le troubler. D’ordinaire, il avait besoin de beaucoup d’heures de sommeil, mais cette histoire le préoccupait beaucoup trop. Il n’avait pas peur des soi-disant représailles, d’autant plus que pour le lendemain de la Célébration, le Chef du village s’était engagé, avec quelques chefs de familles, à rendre visite à ces deux troubles fêtes après une brève entrevue avec Sôh-Mon.
Ce qui le préoccupait plutôt, c’était cette… Impression. Parfois, lorsqu’il rentrait dans une profonde et longue méditation, il entendait… … Une voix. Une voix… Douce… et incompréhensible à la fois. À chaque parole, leur sens lui échappait à la toute dernière seconde. Et les sensations qu’il ressentait… C’était rare, mais lorsqu’il s’immergeait totalement pour méditer profondément entre deux respirations, il pouvait parfois ressentir… Quelque chose. Comme un souvenir logé au plus profond de ses songes.
Ce n’était rien de précis et clair, et plus le temps passait, plus cette impression s’estompait. Mais là… Cette impression le taraudait et elle se faisait plus présente que les autres. Et… Elle n’était pas très bonne.


Quelques heures plus tard, peu après la Célébration de la naissance de Kila


« Votre chant était comme chaque année Prêtre Sôh-Mon… Majestueux ! Nous avons de la chance de vous avoir dans un temple si petit par rapport à ceux du Sanctuaire et de la Capitale ! »

Après chaque cérémonie, il était d’usage que le prêtre principal salue personnellement les villageois et autres visiteurs. C’était un moment de joie et de partage que tous attendaient impatiemment chaque année…
Et après le bain de foule, ceux venus avec leurs instruments de musique s’installaient afin que la fête puisse battre son plein jusqu'à l'aube. Pendant ce temps-là, les assistants et le prêtre principal pouvaient se détendre, sans toutefois oublier de veiller au bon déroulement de la fête. Ce fut malheureusement à cet instant que Sôh-Mon, qui avait relégué dans un coin de son esprit les menaces qu’il avait reçu, disparu. Sans que personne ne se rende compte de rien. À l'écart de la foule, il avait bu un jus de fruit avec un goût qu’il avait trouvé particulier et...


… Et puis plus rien.


… Lorsqu’il se réveilla… Ce fut le bruit de son corps violenté qui le choqua de prime abord. Puis vint les sensations et l’affreuse douleur. La Tagüel qui l’avait menacé n’était plus là. Elle lui avait expliqué sommairement au début qu’il leur avait fait perdre une importante cargaison et qu’il devait payer… Puis elle quitta la pièce sombre, le laissant entre les mains de plusieurs Laguz, mâles et femelles.
Les yeux fermés à cause de la peur, il arrivait quand même à utiliser son ouïe, ouïe qui compensait largement la presque perte de son œil gauche. Il ne reconnaissait aucune voix, alors il devait donc s’agir de simples visiteurs. Ligoté comme il l’était, il ne lui restait plus qu’à prier aussi fort qu’il pouvait Kila, et espérer ne pas mourir sous les coups… Jusqu’à ce que la fuite soit possiblement envisageable…

« Il est réveillé. Eh ! Détache-le !
-T’es sûr… ? Il pourrait…
-Tu l’as vu ?! Il va rien nous faire ! Et ne contredit plus jamais mes ordres ! »

Un coup suivit d'un son d'os sans doute brisé se fit entendre dans le silence glaçant de la cave. Le Laguz qui venait d’être battu gémit de douleur, et se hâta d’aller détacher Sôh-Mon tant bien que mal. Libéré mais toujours drogué, il s’effondra mollement au sol. Il ne pouvait pas tenir sur ses jambes, ni même espérer se redresser. Et si ce n’était que ça… Non seulement il souffrait sans pouvoir se débattre… Entouré de 3 femelles et 2 mâles… Mais lorsqu’il comprit ce qui l’attendait en observant l'attitude de ses agresseurs… L’ampleur de la gravité de la situation lui arracha ses dernières larmes. Après ces quelques gouttes d’eau salée sur ses joues, la seule chose qu’il pu faire alors que son âme luttait pour quitter son corps meurtri et abusé, ce fut d’hurler tout son saoul. Même s'il savait que personne ne l’entendrait, car tous étaient à la fête…
Tous célébraient la naissance de Kila pendant que des étrangers s’amusaient à le briser et à l’humilier… Et il n’en voulu à personne, alors que son corps souillé se retrouva jeté dans un petit lac non loin du village. Il leur fut presque reconnaissant lorsque l’eau commença lentement à faire son travail en s’infiltrant dans ses poumons pour mettre fin à sa détresse.

Ce qui l’empêcha de sombrer, et le poussa à utiliser son don scellé pour survivre, fut le souvenir partiel de sa sœur, cette petite fille avec un sourire resplendissant et des cheveux aussi bleus que les siens. Sans intermédiaires, l’eau que Sôh-Mon maîtrisait, et celle qu’il matérialisait prenait directement la source de sa puissance dans son corps… Et plus précisément… Dans son œil gauche.
Mais il n’y pensa pas, car la peur de ne plus jamais revoir sa sœur, ou son père, dépassa celle de perdre une partie de son corps.
Ainsi, en une fraction de seconde, il s’expulsa violemment de l’eau en utilisant sans retenue ses forces, et atterrit brutalement au sol. Trempé, il passa de longues et douloureuses dizaines de minutes à cracher de l’eau et à respirer difficilement. Il s'aida également en retirant le reste de liquide grâce à sa maîtrise.
Mais ce n’était pas là le plus dur. Car il savait que maintenant qu’il avait subit de tel sévices… Il serait incapable de protéger qui que ce soit… Et de prier aveuglément en Kila. Il ne pourrait revenir dans ce temple qu’après avoir réparé son corps et son esprit… Il lui fallait quitter son foyer, abandonner son village et rentrer dans son propre pélerinage…

« Ah… J’ai… Je ne vois... rien… »

De l’œil gauche, il ne voyait quasiment plus rien. Sur sa rétine, une espèce de tâche semi opaque assombrissait son œil, et c’était ce qui provoquait sa cécité. Il venait de le comprendre en observant son reflet dans la surface de l’eau.

Deux heures plus tard


Voilà… Il était sec, et son sac était fait. Il avait une tenue de rechange, des vivres, des médicaments, des plantes, des onguents, quelques-uns de ses livres, une carte de Uxy, de l’argent… et les bijoux qu’il portait depuis toujours. Le plus loin de ses souvenirs remontaient à son arrivé à Nethi avec Eanhos, et il les portait déjà, bien qu’ils eussent été trop grands à cette époque.
Dans l’une de ses mains résidait la lance que son père, le Prêtre Kilian, lui avait légué à son 16ème anniversaire pour intensifier son entrainement au Tai-Chi. Il ne la maîtrisait pas encore correctement… Et dans l’autre main, son précieux tome d’eau, porteur de 2 sceaux sur chacune de ses couvertures. Il avait utilisé son affiliation avec l’eau à pleine puissance et sans ce médiateur cette fois-ci... Et voilà qu’il se retrouvait presque aveugle d’un œil… Alors il n’avait plus le droit à l’erreur.

« Ah… »

Le cœur lourd, il s’observa dans le miroir de la chambre de sa voisine après avoir couru le plus discrètement du monde dans la pénombre de la nuit. Il se trouvait dans sa maison, car il ne connaissait en réalité que la sienne, et il lui était impossible de retourner au temple maintenant qu'il avait entendu ses assistants le chercher. Il ne voulait croiser personne avant sa fuite.
Sôh-Mon avait à peine pu faire son sac dans la précipitation, tout trempé qu'il était ! Alors oui… Il était rentré par effraction, et il volait deux tenues à cette jeune femme… Mais en contrepartie, il lui laissait la moitié de l’argent qu’il avait récupéré des dons que les villageois lui faisaient lorsqu’il officiait en tant que prêtre. Il n’avait quasiment jamais touché à cet argent auparavant, ce qui était extrêmement arrangeant en ce jour pour son départ précipité.

« Bien… Le compte y est… »

Le cœur lourd et meurtri, il essuya une dernière larme, se surpris à pouvoir encore en verser, referma la porte de la maison, et se mit en quête d’un lieu pour déposer son kimono blanc, salit de tout les immondices. Sôh-Mon choisit de le laisser dans le lac qui aurait pu l’engloutir à tout jamais, comme un geste symbolique. Il laissait là la rancœur, le regret, la souffrance et la tristesse. Il se refusait à sombrer dans la haine. Son kidnapping avait duré sans doute plusieurs heures, car déjà l’aube pointait le bout de son nez. Sôh-Mon portait des habits féminins, relativement délicats, et bizarrement, il ne se sentit aucunement embarrassé. Son sarouel était léger mais confortable, et le tissus rouge noué de son épaule gauche à sa hanche droite ne le gênait dans aucun mouvement. Il prit le temps de natter ses cheveux jusqu’au bout et de remettre son bijou quart de lune sur son front, pour ensuite prendre son courage à deux mains.

Il ne pouvait pas faire demi-tour. Il avait toujours extrêmement mal malgré l’anti-douleur qu’il avait bu à la hâte, mais cette souffrance physique lui rappelait pourquoi il devait avancer. Après une dernière prière pour Kila en tant que prêtre au temple de Tharas, il tourna ses talons, et s’enfonça à l’aveugle à travers les plaines séparant Tharas de Nirally.

« En ce jour, je dois accepter ma mort spirituelle n'est-ce pas ?… Et me laisser renaître de mes cendres… Kila, Soma, donnez-moi la force d’avancer, je vous en prie… »

Il ne le savait pas encore, mais suite à l’apparition des Sans-Visages quelques lunes plus tard, des portails et des Etrangers… Le village de son enfance allait être totalement détruit.


9ème jour de la Lune du Cygne Vertueux en l’an 1049 | Uxy, région de Nirally, Nirally, place principale


« Ah ! Excuse ! Pardon ! Ahh ! Désolééé ! »

Le petit prêtre avait entendu une nouvelle qui l’avait bouleversé ! Une académie inter pays allait ouvrir très prochainement ! Et… Il avait DEJA du retard ! Le début des examens d’entrée se feraient dans un peu moins de 2 Lunes !! Non seulement Calion n'était pas la porte à côté d’après sa carte… Mais avec son sens de l'orientation... Il allait devoir se ruiner en transport pour gagner du temps, et sans aucun doute devra-il même acheter une monture pour finir son trajet…

« Ahh… Dire que… j’avais économisé ces derniers jours !… »

Mais ne pas s’inscrire à cette académie était inenvisageable. Il devait y entrer ! Et pour pleins raisons. C’est bien pour ça qu’il courait comme un dératé vers l’écurie la plus proche, esquivant et heurtant les passants.
Ah… Il allait avoir faim pendant plusieurs jours avec tout ce que ce voyage allait lui coûter… Mais ça en valait le coup, il en était certain !

« Hhh ! Hhh ! Direction… Nirdotha !! »